L’accessibilité numérique en France en 2024 : cadre législatif et perspectives
L’accessibilité numérique désigne l’ensemble des pratiques et normes visant à rendre les technologies de l’information et de la communication (TIC) accessibles à toutes les personnes, y compris celles en situation de handicap.
Cela englobe la conception de sites web, d’applications mobiles, de documents numériques, et de produits électroniques de manière à ce qu’ils puissent être utilisés par des personnes ayant des limitations physiques, sensorielles, cognitives ou mentales. L’objectif est de garantir une égalité d’accès aux services numériques pour tous, en éliminant les barrières qui empêchent certaines personnes d’utiliser ces technologies de manière autonome.
Rapide historique du cadre législatif
L’accessibilité numérique en France a commencé à prendre forme avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi imposait pour la première fois aux services publics de rendre leurs sites web accessibles, cependant l’état à pris son temps pour faire appliquer ce premier cadre législatif puisque le décret qui à permis d’appliquer cette loi est sortie en 2009.
En 2018, l’ordonnance du 26 septembre a marqué une étape cruciale en transposant la directive européenne 2016/2102, renforçant ainsi ces obligations et les étendant aux applications mobiles.
L’état actuel du cadre législatif
Plus récemment, la directive européenne (UE) 2019/882 a élargi ces exigences aux produits et services numériques du secteur privé, introduisant des normes plus strictes qui doivent être respectées d’ici 2025.
Le cadre législatif actuel en France est structuré autour de plusieurs textes récents, notamment l’ordonnance n° 2023-456 du 5 juin 2023 et le décret n° 2023-491 du 28 juin 2023. Ces textes transposent la directive européenne 2019/882 et fixent des obligations précises pour les organismes publics et privés concernant l’accessibilité des services numériques.
Les récentes évolutions législatives ont également introduit des mécanismes de suivi et de sanctions pour assurer la conformité des sites web, applications mobiles, et autres produits numériques aux normes d’accessibilité.
Qui est concerné ?
Les obligations en matière d’accessibilité numérique s’appliquent désormais à un large éventail d’acteurs.
Les organismes publics
L’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 par de toutes les personnes morales de droit public, tels que :
- Les collectivités locales : Régions, départements, communes.
- Les établissements publics : Écoles, hôpitaux, etc.
- Les services de l’État : Ministères et administrations.
- Les opérateurs de l’État : Organismes qui mettent en œuvre des politiques publiques, par exemple le CNOUS ou l’ADEME
- Les autorités publiques indépendantes, par exemple des organismes comme la CNIL.

Le secteur privé
Le même article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 précise que les entités suivantes sont concernées :
- Les personnes morales délégataires d’une mission de service public. On retrouve souvent ce cas pour des missions qui auraient pu être traitées par des collectivités territoriales mais qui sont confiées à des entreprises privées par le biais de marchés publics, par exemple pour la gestion d’une régie de transport urbain ou encore la distribution de l’eau.
- Les entreprises dont le chiffre d’affaires excède 250 millions d’euros (sur la base de la moyenne du chiffre d’affaires annuel réalisé en France des trois derniers exercices)
- Les organismes créés pour satisfaire des besoins d’intérêt général (autres qu’industriel et commercial), qu’ils soient :
- Financés directement ou indirectement par l’argent public
- Contrôlés par l’administration ou par un organisme ayant une mission de service public ou d’intérêt général
- Dont plus de la moitié des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance appartient à l’administration ou à un organisme ayant une mission de service public ou d’intérêt général
- Constitués par une ou plusieurs des personnes citées ci-dessus.
Les produits et des services
La transposition de la directive 2019/992 impose de nouvelles exigences, et cette fois, on change un peu le prisme puisqu’on ne parle plus d’entités, mais de biens et services. Donc quelles que soit le type de structure, l’obligation d’accessibilité existe si un bien ou un service est publié par la structure.
Le décret du 9 octobre 2023 précise que cela inclut :
- Les services de communications électroniques
- Les services d’accès aux médias audiovisuels,
- Les services de transport de voyageurs aérien, ferroviaire, par autobus et autocar, métro, tramway, etc. en incluant :
- Les sites internet
- Les applications mobiles
- Les billets électroniques
- Les informations en temps réel
- Les services bancaires, y compris les contrats et opérations de paiement
- Le commerce électronique
- Les livres numériques et les logiciels permettant leur lecture

Particularité concernant le commerce électronique
L’article 14 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique livre une précision sur le commerce électronique qui en élargit le périmètre : « Entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations, y compris lorsqu’ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent. »
Des exemptions existent malgré tout
Les entreprises employant moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas deux millions d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas deux millions d’euros sont dispensées des exigences d’accessibilité mentionnées au présent article et de toutes les obligations qui y sont liées.
Les exigences d’accessibilité des produits et des services s’appliquent uniquement dans la mesure où la conformité n’exige pas une modification significative du produit ou du service entraînant une modification fondamentale de la nature de celui-ci, et également n’impose pas une charge disproportionnée aux opérateurs économiques concernés
NDLR : cette notion de charge disproportionnée est soumise à interprétation, mais à notre sens le risque est que les entités concernées l’utilisent à tort pour se soustraire au cadre légal. Retrouvez les article de nos consœurs et confrères Koena et Access42 à ce sujet .
Quelles sont les exigences ?
Il faut pour tous les organismes concernés, produire des services accessibles aux personnes handicapées. Le décret d’application qui concerne l’article 47 de la loi du 11 février 2005 impose même le référentiel du RGAA pour le secteur public et les entreprises dont le chiffre d’affaires excède 250 millions d’€ par an.
Ce référentiel est bien entendu utilisable par tout le monde, mais pour les autres entités qui le souhaite, elles peuvent passer par le standard européen EN 301 549.
Le RGAA ne peut s’appliquer que pour les applications utilisables au travers d’un navigateur web, pour les autres cas (application mobile ou mobilier urbain), il faut se référer au standard Européen EN 301 549.
Précisions dans le cas de l’article 47
L’article 47 de la loi de 2005 impose donc de rendre accessible tout type d’information sous forme numérique, quels que soient le moyen d’accès, le contenu et le mode de consultation. C’est en particulier le cas des :
- Sites internet
- Intranets
- Extranets
- Des applications mobiles
- Des progiciels et du mobilier urbain numérique.

En plus de l’obligation de mise en accessibilité, une obligation d’affichage est également présente pour les organismes concernés. Ils doivent ainsi :
- Publier une déclaration d’accessibilité (qui est le résultat effectif d’un audit)
- Élaborer un schéma pluriannuel de mise en accessibilité de leurs services en ligne de communication au public
- Ajouter, sur la page d’accueil du site au moins une mention clairement visible précisant s’il est ou non conforme aux règles relatives à l’accessibilité

Dans les autres cadres
Pour les acteurs concernés par l’obligation d’accessibilité mais hors cadre de l’article 47 du 11/2/2005, Il est précisé à ce jour que seule subsiste une obligation de conformité et de déclaration du niveau d’accessibilité. Cependant nous n’avons pas plus de précisions sur un référentiel à appliquer, ou bien le formalisme que doit adopter les aspects déclaratifs.
Nous attendons encore des arrêtés ou décret sur ces sujets.
Délais de mise en application
Les organismes concernés au titre de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 doivent déjà appliquer ce cadre et ne disposent pas de délais supplémentaires.
Pour les autres organismes, les délais sont les suivants :
- D’ici le 28 juin 2030 pour les services existants
- À partir du 28 juin 2025 pour les nouveaux services
Organismes de contrôles
La conformité aux normes d’accessibilité numérique est surveillée par plusieurs organismes en France :
- La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : Cet organisme est responsable de la surveillance de la conformité des produits et services numériques pour ceux qui relèvent de la directive européenne, notamment les sites e-commerce par exemple.
- L’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) pour les services de communications électroniques.
- L’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) : Cet organisme contrôle le respect des obligations d’accessibilité dans le secteur public ainsi que pour les services des éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle. Elle est également compétente pour les entités privées concernées par l’article 47 de la loi de 2005.
- L’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et l’AMF (Autorité des marchés financiers) : Ces deux autorités supervisent les services bancaires. Elles s’assurent que les informations fournies aux consommateurs soient compréhensibles et que leur complexité soit adaptée aux exigences d’accessibilité.
- La Banque de France : Cet organisme est responsable de la surveillance des méthodes d’identification, des signatures électroniques, ainsi que des services de sécurité et de paiement dans le secteur bancaire.
Ces organismes sont habilités à effectuer des contrôles, à évaluer la conformité des services numériques, et à imposer des sanctions en cas de non-respect des obligations légales en matière d’accessibilité.

Sanctions
A priori, aucune sanction ne sera prononcée sans mise en demeure. Cependant, si les entités concernées ne respectent pas cette mise en demeure, l’Autorité de contrôle peut, selon les procédures prévues par la loi, infliger une amende. Cette amende peut être accompagnée d’une sanction de publicité, rendant publique l’infraction commise.
Sanctions pour les organismes concernées par l’article 47
Les sanctions prévues dans ce cadre sont de deux ordres :
- 50 000 € maximum pour défaut d’accessibilité pour les acteurs publics (personnes morales de droit public, ou de droit privé délégataire d’une mission de service public). C’est d’ailleurs une des grandes nouveautés car par rapport au cadre précédant ou les sites inaccessibles ne pouvaient être sanctionnés.
- 25 000 € maximum pour non-respect des obligations déclaratives (si pas de mention/déclaration/schéma) pour toutes les entités concernées par l’article 47.
Si un manquement sanctionné persiste plus de six mois après le prononcé de la sanction initiale, une nouvelle sanction peut être infligée.
Sanctions pour les organismes concernés par le code de la consommation
C’est une contravention de 5e classe que prévoit le code de la consommation en cas de défaut prévu à l’article R451-1, ce qui correspond à des amendes de cet ordre :
- 7 500 € maximum (et 15 000 € si récidive) pour la personne morale
- 1 500 € maximum (et 3000€ si récidive) pour les personnes physiques. Dans certains cas cette sanction peut être proportionnée au nombre de services fournis.
- Possible confiscation du service
- Possible astreintes journalières de 3 000 € jusqu’à un montant maximum cumulé de 300 000 € (article L521-1)
Sanctions possibles notamment pour défaut de conformité, absence d’audit, absence de déclaration (écrite et orale), absence d’information des autorités de contrôle en cas de non-conformité, absence de collaboration avec les autorités de contrôle.
Perspectives
Les actions de l’ARCOM en juin 2024 et à venir !
L’ARCOM est chargé de vérifier et sanctionné les organismes concernés au titre de la loi du 11 février 2005, et à ce titre à déjà mis en place un certain nombre d’actions :
- Dès le mois de décembre 2023, les premiers courriers ont été envoyé à des sociétés de transport aérien afin de rappeler les obligations en matière d’accessibilité et de les informer des sanctions encourues dans l’hypothèse où elles ne se conformeraient pas à leurs obligations
- Au mois de mars 2024, plus de 130 courriers ont été envoyés à diverses administrations publiques pour leur rappeler leurs obligations
- Depuis avril 2024, des interventions, notamment auprès de plusieurs collectivités territoriales ont été menés afin de sensibiliser les acteurs concernés
Malgré des moyens limités, l’ARCOM a acté le principe de contrôles programmés en 2024, portant sur plusieurs centaines de sites Internet et qui seront réalisés jusqu’à la fin de l’année 2024.
Également, l’ARCOM a mis à jour son dispositif de contact afin que les usagers puissent la saisir en cas de défaut de conformité. L’AVH (Association Valentin Haüy) a publié un guide détaillé pour signaler un problème d’accessibilité.
Par ailleurs, nous savons que l’ARCOM travaille conjointement avec la Direction interministérielle du Numérique (DINUM) dans la mise en place d’outils visant à doter cette autorité de contrôle d’un service automatisé de contrôle. L’objectif est aussi d’accompagner les administrations responsables de services numériques dans leur mise en conformité avec le RGAA en mettant ce même service à leur disposition.
NDLR : Peut-être sont-ce les prémisses de ce téléservice tel que nous l’avons vu apparaître dans le décret d’application de 2019 qui indiquait « La déclaration est communiquée à l’administration par le biais d’un téléservice selon des modalités arrêtées conjointement par le ministre chargé des personnes handicapées et le ministre chargé du numérique. » – https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038811937/
Et pour les autres organismes de contrôles ?
Au-delà de l’ARCOM, nous ne savons pas à ce jour comment les autres autorités de contrôle vont prendre en compte ce sujet de l’accessibilité numérique. LA DGCCRF lors de l’édition 2023 de la conférence a11yParis (https://www.youtube.com/watch?v=fD4o5LoEEqw&t=1037s) indiquait déjà disposer d’outils nécessaires pour inciter les opérateurs à se conformer à la loi. La DGCCRF vérifie en effet régulièrement des sites web et a l’habitude de travailler à partir des signalements citoyens et associatifs à travers l’outil Signal Conso pour mieux cibler et prioriser ses contrôles.
Des premières sanctions à venir en 2025
Est-ce que toutes les entités qui ont reçus des courriers de l’ARCOM se sont mis en conformité depuis, ou bien va-t-on avoir connaissance des premières sanctions publiées ?
Est-ce que le délai de mise en conformité des nouveaux sites pour les biens et services concernés par la transposition de la directive européenne en juin 2025 va être suivis de faits ?
Juin 2025, c’est dans moins d’un an… Comment vont se mobiliser les acteurs du e-commerce entre autres, car c’est dès maintenant qu’il faut se mettre au travail !
Pour en savoir plus sur les missions et propositions de boscop en matière d’accessibilité numérique, visitez notre site !
Rédigé par
Simon Bonaventure
Responsable du Pôle A11Y